Les adultes

Canaliser et orienter son énergie vitale pour la rendre féconde, voilà le grand défi de l’âge adulte ! Contrairement au temps de la jeunesse, « il est du pouvoir de l’âge adulte (…) de métamorphoser l’inondation incontrôlable en irrigation vivifiante »[1]. Pour cela, les adultes doivent concentrer leurs forces et oser prendre forme dans le monde. Ce qui implique de faire des choix : « séléctifs, ils repèrent les points d’ancrage, décèlent et choisissent, dans la multitude des possibles, les éléments utiles au projet d’existence qui , désormais, pour chacun, se précise »[2]. Faire des choix, prendre forme, nécessite de renoncer à une multitude de possibles, mais c’est aussi à cette condition que l’on peut « rentrer vraiment dans l’histoire » et « avoir prise sur le monde »[3]. Or, nous les êtres humains ne nous épanouissons pleinement que lorsque ce que l’on porte de plus unique et de plus précieux en nous trouve à s’extérioriser et à contribuer à l’oeuvre collective. Ainsi, plus nos choix de vie correspondent à nos aspirations profondes, plus notre projet d’existence est mis au service de ce qui nous est essentiel, plus le temps qui passe devient non pas un ennemi mortel mais un véritable allié pour notre accomplissement !

L’âge adulte n’est pas un palier qui une fois atteint reste constant et linéaire. Il n’y a pas de choix voués à être définitifs. Les dés de la justesse sont sans cesse à relancer. La juste forme de vie d’hier ne sera peut-être plus celle de demain. Nous appelant donc à fréquemment réévaluer nos choix, à connaître de multiples mues et métamorphoses, pour « rester en bonne forme ». Car bien que notre corps ait pleinement atteint sa maturité, notre croissance est loin d’être finie ! C’est en conscience et en connaissance que nous sommes désormais appelés à grandir. Poursuivre notre croissance intérieure, mûrir comme du bon vin, se raffiner dans nos gouts et nos désirs, voici aussi le grand défi de l’âge adulte ! Seulement tandis que pour s’accroître, le jeune étendait son périmètre d’expérience, l’adulte lui creuse en un certain point. D’un point de vue extérieur donc il semble plus immobile, plus casanier, plus « plan plan », alors qu’en réalité s’est opéré chez lui un changement de mouvement : l’expansion a laissé place à l’approfondissement. Il semble aussi moins curieux mais c’est parce que son attention, ainsi que ses désirs, désormais se focalisent et s’affinent. Concentrer ses forces, aiguiser son esprit, affuter son geste, voilà ce que doit apprendre l’adulte afin d’engrosser la matière de son énergie créatrice et offrir ses fruits au monde.

Bien sûr, ce que j’évoque ci-dessus se produit dans le meilleur des cas. Mais bien souvent, l’épanouissement à l’âge adulte est entravé par les exigences sociales qui empêchent les individus de trouver leur juste forme de vie. Les pressions financières, l’ influence des idées conformistes et tout ce qui nous poussent à faire ce qu’il faut faire plutôt que ce que l’on désire personnellement. Nos peurs et notre « self-ignorance » concourent également à nous dévier de notre axe fondamentale. Nombre de nos frustrations et de nos souffrances viennent donc de cet écart entre la vie que l’on mène et ce qui nous correspond vraiment. Le cadre thérapeutique offre un lieu vide de toutes exigences et influences extérieures où l’on peut se mettre à l’écoute de notre volonté propre et de nos désirs profonds. C’est dans ce cadre que j’accompagne les adultes dans la recherche de leur vraie nature et des justes formes à donner à leur vie pour qu’elle sonne juste.

[1] Christiane Singer, Les âges de la vie, Albin Michel, 1984, p 147
[2] Ibid, p 148
[3] Ibid, p 146